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UN SÉNATEUR EN COLÈRE
Pas de problème, déclara Elinn après que le docteur Dejones lui eut expliqué ce dont elle souffrait. Je n’ai qu’à rester ici, voilà tout. »
Pigrato, qui suivait la discussion posté dans l’angle, les bras croisés et la mine sombre, lâcha un rire apathique.
« Je crains que ce ne soit pas aussi simple », murmura le médecin en pressant la main de l’adolescente comme pour la rassurer.
Elinn, pourtant, n’était nullement inquiète, contrairement à son entourage, foudroyé par la nouvelle. Installée sur la chaise réservée aux patients, face au bureau, elle balançait gaiement les jambes, visiblement aux anges.
« Des poumons martiens, lâcha-t-elle, reprenant l’expression employée par le docteur Dejones. Ça me plaît. »
Sa mère poussa un profond soupir.
« Pas à moi, souffla le père d’Ariana. Pas à moi.
— Docteur, intervint Pigrato d’une voix lourde de menaces, n’allez pas croire que je mette en doute vos compétences professionnelles, mais, à la réflexion, je trouve toute cette affaire bien mince. Jusqu’à présent, je n’ai que votre unique son de cloche. Je n’ose imaginer qu’il puisse s’agir là d’une sinistre mise en scène destinée à…
— Je vous prie, monsieur, de modérer vos propos ! l’interrompit le docteur Dejones avec une véhémence qui ne lui était pas coutumière.
— Entendez-moi bien : je n’ose l’imaginer. Mais j’ignore à quelles conclusions parviendraient d’autres praticiens. Vous comprendrez qu’il nous est impossible de fonder une décision sur la base d’un seul diagnostic.
— Que comptez-vous faire ? Démonter un labo terrestre et l’expatrier sur Mars par la première navette ?
— Un peu de sérieux, riposta l’administrateur avec aigreur.
— J’ai soumis Elinn à toute une batterie de tests – et la liste est longue, vous pouvez m’en croire. Même si vous la transfériez dans une clinique de pointe comme celle de Kobayashi, le diagnostic ne varierait pas d’un iota. »
Les yeux de Pigrato s’étrécirent. « Justement, j’en doute.
— Cela ne vous convient pas, je le conçois. S’il n’y a que ça pour vous convaincre, je suis prêt à vous fournir son dossier complet. Envoyez-le donc au centre médical du projet Mars ou à qui vous voudrez !
— Inutile de vous montrer aussi agressif. Je ne fais que mon boulot.
— Oui, oui, je vois ça. » Le médecin ouvrit un tiroir et en sortit un disque qu’il glissa dans une fente sous l’écran. Il dupliqua les fichiers concernant Elinn, éjecta le disque et le tendit à Pigrato. « Je vous en prie.
— Merci. » L’administrateur fourra l’objet dans sa poche de chemise et scruta l’assistance d’un œil indécis : « Eh bien… dès que j’ai des nouvelles de la Terre, je vous le fais savoir. »
Le docteur Dejones se contenta d’acquiescer. Pigrato fit demi-tour et prit la porte. Avant qu’elle ne se referme entièrement, on l’entendit s’éloigner en pestant : « Quel conn…»
Le battant claqua, étouffant le juron. Adultes et enfants se regardèrent, les yeux ronds. Ils ne purent contenir un gloussement qui se mua bientôt en franche rigolade.
« Notre cher Tom Pigrato tout craché ! » s’exclama le docteur Dejones, sarcastique.
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« Il ne peut pas m’expédier sur Terre si je risque d’y mourir, n’est-ce pas ? » demanda Elinn ce soir-là, alors qu’elle se mettait au lit.
Sa mère lui caressa les cheveux. « Non.
— Donc je vais rester ici, s’emballa-t-elle. Comme il est impossible que tu m’abandonnes, tu devras rester aussi. Et comme nous ne pourrons pas abattre tout le travail à deux, d’autres devront se joindre à nous. La cité est sauvée ! »
Madame Faggan sourit. Tout à sa joie, Elinn ne perçut pas l’angoisse que masquait ce sourire. « Je suis certaine que monsieur Pigrato ne voit pas les choses différemment, mon trésor. »
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Monsieur Pigrato ne voyait effectivement pas les choses différemment. Pas plus, d’ailleurs, que le sénateur Bjornstadt. Et c’était bien le problème.
Le politicien ne rechignant jamais à la dépense dès lors qu’il s’agissait de défendre ses propres intérêts, il avait organisé une vidéoconférence entre son bureau et celui de Pigrato. Ainsi celui-ci le regardait-il éructer sur le grand écran de son unité de communication.
« Vous réalisez ce que cela signifie, Pigrato ? » Le vénérable parlementaire hurlait à pleins poumons, comme pour briser le mur du son. « Cela pourrait ruiner toute l’entreprise. Seigneur Dieu, vous n’auriez pas pu faire examiner cette mioche plus tôt, non ? Comme si je n’étais déjà pas assez emmerdé, avec ce mouchard qui n’a pas pu fermer son clapet ! À l’heure qu’il est, les transporteurs sont en route. Qu’est-ce que vous croyez qu’il se passera s’ils reviennent à vide ? Des têtes tomberont, je vous le garantis, à commencer par les deux nôtres. Je vous ai fait confiance, Pigrato. Si vous ne m’aviez pas certifié que tout marcherait comme sur des roulettes, j’aurais attendu cinq minutes avant d’envoyer les vaisseaux. Et maintenant… Ah ! je préfère ne pas y penser. J’espère seulement que vous avez une suggestion valable pour résoudre cette affaire ! »
Pigrato n’en menait pas large. Tout le monde semblait s’être ligué pour lui refourguer la patate chaude. « Jusqu’à présent, nous n’avons l’opinion que d’un seul médecin. Le docteur Dejones est de surcroît l’un des porte-parole de la population et partisan déclaré de la colonisation. Je n’exclus pas qu’il ait vu ce qu’il avait envie de voir. Tout ceci n’est peut-être qu’une sombre supercherie. » Et si cette histoire atterrissait à la une des journaux ? Il imaginait déjà les gros titres. La mort du projet Mars, le meurtre d’une enfant. « J’ai sollicité l’avis de plusieurs médecins. Le dossier leur a été transmis par le biais du réseau WorldMed. Le centre médical des autorités spatiales m’a assuré de son soutien. »
L’administrateur se tut et patienta. Voilà ce que les vidéoconférences avec la Terre avaient de détestable : on débitait son laïus avant de rester planté là, à regarder son interlocuteur dans le blanc des yeux en attendant que le temps passe. Et qu’il passait lentement, dans de telles circonstances ! Pigrato consulta discrètement l’horloge. Sept minutes. À peine la moitié.
Si au moins les pauses s’étaient intercalées entre question et réponse ! Il aurait pu tranquillement peaufiner son argumentaire. Mais, en pratique, cela revenait à échanger deux phrases, bayer aux corneilles et repartir pour deux phrases. Au téléphone, on pouvait profiter de ces interludes pour vaquer à ses occupations. Lire par exemple. Une liberté proscrite par l’usage de la caméra…
Lorsque quatorze minutes et vingt secondes se furent écoulées, Pigrato entendit sa propre voix jaillir des enceintes dans le bureau de Bjornstadt.
« Je trouve cela encore beaucoup trop flou, grogna le sénateur. Et que ferez-vous si les autres experts parviennent à la même conclusion ? Non, non, je ne suis vraiment pas convaincu. » Il se pencha en avant. « Réglez ce problème. Peu importe comment. Si vous voulez avoir une petite chance de sauver votre carrière, Pigrato, rapatriez-moi cette bande d’imbéciles. J’espère que nous nous sommes compris », maugréa-t-il en le gratifiant d’un dernier regard noir. Il coupa la communication et son visage fit place à un néant apaisant.
Tom Pigrato se carra dans son siège. Il était en nage.
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Deux jours plus tard, l’administrateur convia le docteur Dejones et Christine Faggan à le rejoindre dans la salle des cartes. Le médecin exigea la présence d’Elinn, qui elle-même refusa de s’y rendre sans ses camarades. Pigrato finit par accéder de mauvaise grâce à cette double requête. Ils furent donc huit à participer aux débats, Pigrato étant quant à lui flanqué de Graham Dipple, qui ne cessa de jouer nerveusement avec son stylo durant toute la réunion.
L’administrateur entra tout de suite dans le vif du sujet en sortant de sa serviette une pile de documents. « J’ai ici sept rapports d’expertise qui émanent de différents médecins. Tous attestent une altération du tissu pulmonaire. Néanmoins, cette déficience n’est pas aussi sévère que vous l’avez d’abord supposé, docteur Dejones. Surtout, elle n’interdit en rien le transfert d’Elinn Faggan sur Terre. Trois des sept spécialistes suggèrent simplement à sa famille d’éviter l’altitude et la proximité de sites industriels dont les rejets gazeux pourraient être néfastes. Je vous en prie. » Il poussa les papiers au centre de la table.
« Je vous avoue que cela ne me surprend guère », fit le docteur Dejones en s’emparant du premier dossier. Il le feuilleta, survola quelques pages sans faire preuve d’une réelle attention.
« Alors ? » s’impatienta Pigrato.
Le docteur Dejones haussa les épaules. « Alors, rien. Interrogez dix médecins et vous aurez douze points de vue divergents. Je me doutais bien que vous iriez rameuter des confrères prêts à vous dire ce que vous voulez entendre.
— Vous me croyez capable de tout, à ce que je vois.
— Oui, en effet. » Il souleva les rapports. « Pourrais-je avoir ces expertises ? »
Pigrato écarta les mains, faussement magnanime. « Naturellement.
— Vous ne m’avez pas compris. » Le médecin secoua la tête et lui rendit les documents. « Je les voudrais en format électronique. J’ai moi aussi l’intention de prendre conseil sur Terre. Auprès de personnes de mon choix, s’entend. »
L’administrateur lui décocha un regard qui, s’il avait pu tuer, l’aurait refroidi net. « Deux de nos plus grands transporteurs font actuellement route vers Mars. Quatre mois de trajet aller, vingt-sept jours sur place, trois mois et demi de trajet retour. Que voulez-vous que je leur dise ? Qu’ils ont fait le voyage pour rien ?
— La décision trop hâtive des autorités ne saurait m’être reprochée. Il aurait été plus sage d’éclaircir au préalable toutes les zones d’ombre. En dressant notamment un bilan sanitaire.
— Nul ne pouvait prévoir l’apparition de problèmes médicaux de ce type.
— N’importe qui aurait pu le prévoir. De ce type ou d’un autre. On sait ainsi depuis des décennies qu’un séjour prolongé sous pesanteur réduite entraîne des perturbations du système cardio-vasculaire. Certains de nos doyens en sont l’exemple vivant.
— Cela ne les empêche pas d’être aptes à rentrer.
— Je vous l’accorde. Mais c’était loin d’être une évidence. »
Pigrato se plaça les paumes en éventail sous le menton. « Vous savez très bien ce qui s’est passé après la chute du gouvernement Sanchez. Si la fermeture de la cité avait été soumise à un débat public, elle n’aurait plus été possible.
— C’est un problème politique, non médical. Alors ? Me donnerez-vous ces expertises ou avez-vous quelque chose à cacher ? »
Pigrato manqua s’étouffer. « IA ? grommela-t-il ensuite.
— J’écoute, monsieur Pigrato.
— Envoie au docteur Dejones une copie électronique des rapports relatifs à Elinn Faggan.
— C’est fait.
— Merci, dit le docteur Dejones en se levant. Je présume que nous en avons terminé. Venez, les enfants. »
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« Qui a raison ? demanda Ariana. Toi ou les médecins interrogés par Pigrato ? »
Le clan était réuni dans l’appartement des Faggan. Attablés devant une tasse de cafba et une assiette de gâteaux secs, ils tenaient conseil. Un véritable conseil de guerre.
« Je ne sais pas, admit son père. Ces noms ne me disent rien. Je ne sais même pas si ces individus connaissent quelque chose en médecine spatiale. Mais je vais me renseigner.
— Pigrato ne peut pas obliger Elinn à partir en s’appuyant sur les allégations d’une poignée de charlatans qui ne l’ont jamais vue de leur vie ! s’insurgea Cari.
— Elinn est le cadet de leurs soucis, rétorqua sa mère. Seulement, si elle reste, nombre d’entre nous devrons faire de même. Et la station ne pourra pas être démantelée.
— Ce qui m’inquiète, fit le docteur Dejones, c’est qu’il s’agit d’argent. De beaucoup, beaucoup d’argent. » Il touilla pensivement son cafba. « On ne sait jamais de quoi sont capables les gens dès qu’il s’agit d’argent. »
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Le surlendemain, le petit groupe se retrouva dans la salle des cartes, à l’invite cette fois du docteur Dejones. Pigrato était venu avec toute sa suite : Dipple, Farouk et Cory MacGee, reléguée, bras croisés, à l’arrière-plan, comme si on lui avait ordonné de tenir sa langue.
L’administrateur ouvrit les débats d’un ton incisif : « Alors ? Quelles pièces avez-vous à produire ? »
Le docteur Dejones retint son souffle. « Le nom de Hung Huang-Fu vous dit-il quelque chose ?
— Ce monsieur serait chinois que cela ne m’étonnerait pas », plaisanta Pigrato. Ses collègues masculins ricanèrent servilement.
« Exact. Le professeur Hung dirige la clinique universitaire de T’ainan. Il a reçu le prix Nobel de médecine en 2079, pour ses recherches sur le lien entre respiration et vieillissement. S’il existe sur Terre un spécialiste des affections pulmonaires, c’est bien lui. »
Pigrato devint blanc comme un linge. « Un prix Nobel ? croassa-t-il. Vous êtes allé chercher un prix Nobel ?
— Oui, répondit laconiquement le docteur Dejones. Écoutez attentivement. »
Il se leva, s’approcha du moniteur, ouvrit sa messagerie et sélectionna un courriel. Un vieux Chinois rabougri aux sourcils incroyablement broussailleux apparut à l’écran. Dès que les Terriens aperçurent son visage, ils le reconnurent. Tous l’avaient déjà vu. Pigrato suffoqua de stupeur.
« Je vous salue, docteur Dejones, lança le vieillard, manifestement habitué à aller droit au but et à ne pas se perdre en considérations oiseuses. J’accède volontiers à votre demande. Sans doute vous sera-t-il utile de diffuser cet enregistrement devant les instances compétentes, je vous autorise donc expressément à le faire. » Il tendit le bras de côté et posa sur ses genoux une pile de documents. « Penchons-nous d’abord sur les rapports d’expertise que vous m’avez adressés. Je regrette sincèrement de les avoir imprimés : le papier est précieux, à quoi bon le gâcher ? Ces comptes rendus ne sont qu’un ramassis d’inepties de A jusqu’à Z. Prenons le cas du docteur Kenyon Brant : si ma mémoire est bonne, ce triste sire doit sa nomination au centre médical à son frère, le sénateur Grayson Brant – la chaire qu’il briguait à l’académie astronautique de Houston lui ayant été refusée, il s’est rabattu sur ce lot de consolation. J’espère pour ses patients que ce monsieur s’est spécialisé dans le traitement des fractures et luxations en tout genre, car je puis vous affirmer, au vu de ce torchon, qu’il n’a même pas intégré le b. a. ba du fonctionnement pulmonaire. Le plus stupide de mes étudiants en comprend davantage que lui. Poubelle, donc. » Le professeur Hung jeta négligemment les feuillets qui se répandirent à terre. Puis il se saisit du deuxième dossier. « Ah, docteur Félix Kossuth. À l’occasion, signalez-lui que la médecine a évolué depuis un siècle. » Les pages volèrent. « Docteur Li Ho. Celui-là a une fâcheuse tendance à confondre les différents groupes de molécules actives du processus de respiration. Cerise sur le gâteau, il semble avoir de sérieuses difficultés à distinguer pesanteur et pression atmosphérique. Et ainsi de suite. En résumé : sur les sept rédacteurs de ces brillants essais, on ne compte pas un seul pneumologue ! pas un seul chercheur, pas un seul spécialiste qualifié pour porter un jugement. » Les rapports restants suivirent le chemin des précédents. « Passons aux analyses tomographiques. Vous avez parfaitement raison : les lésions sont liées à la naissance prématurée. Le cas est fascinant. Je suis navré de ne pouvoir vous rejoindre afin d’examiner moi-même votre patiente. Car elle ne doit à aucun prix venir sur Terre, ou alors une semaine, dix jours maximum. Au-delà, les souches de l’arbre bronchique en souffriraient, le mal s’insinuant probablement par les lobes supérieurs. En ce qui concerne les facteurs surfactants, votre hypothèse était en partie erronée : ils apparaissent sur les clichés, mais on a besoin, pour les faire ressortir, d’outils informatiques dont vous ne disposiez pas. Quoi qu’il en soit, les alvéoles souffrent indéniablement de séquelles que nous n’avons pas les moyens à l’heure actuelle de réparer. » Le prix Nobel observa une pause, sans doute pour donner plus de poids à ce qui allait suivre. « J’estime, en tant que spécialiste, qu’un séjour prolongé de cette enfant sur Terre s’achèverait par une mort certaine en moins de deux mois. »
Le docteur Dejones éteignit l’écran et balaya l’auditoire d’un regard satisfait. « Voilà qui met un terme, je pense, au débat scientifique. »
Pigrato ne cilla pas. Son teint, jusque-là blafard, avait viré au rouge cramoisi, faisant craindre l’imminence d’une crise d’apoplexie. Cependant, quoi que l’administrateur eût voulu dire ou aboyer, il le garda pour lui. « Je ne fais que mon boulot, siffla-t-il entre ses dents. On m’a communiqué ces rapports. Jamais je n’ai prétendu pouvoir juger de leur valeur. Vos reproches sont infondés.
— Je ne vous reproche rien. J’attends juste que vous transmettiez les faits à la commission en la priant de revenir sur sa décision. »
Les autres Terriens se taisaient, tête basse, visiblement gênés. Dipple mâchouillait le bout de son stylo, Farouk se grattait en permanence le cou et MacGee paraissait redouter que la discussion ne tourne à la bagarre.
Pigrato finit par rendre les armes, la mort dans l’âme. « Bien. Je le ferai.
— Formidable. »
Le docteur Dejones, madame Faggan et les enfants se levèrent. Alors qu’ils avaient déjà gagné la porte, Pigrato reprit : « Ah, une dernière chose, docteur…»
Ils s’arrêtèrent. « Mmh ?
— J’ai entendu dire que vous aviez, de votre propre chef, délivré des médicaments à la station asiatique.
— Pardon ? souffla le praticien, estomaqué. Oui, j’ai assuré un dépannage d’urgence, c’est exact.
— Les urgences de la station asiatique sont l’affaire de l’Alliance asiatique.
— Il ne s’agissait que d’ampoules d’insuline pour soigner une crise de diabète. Nous possédons un bioassembleur capable de synthétiser l’insuline. Cela ne nous coûte presque rien…
— Je suis au courant. En l’occurrence, le problème n’est pas là. C’est une question de principe. L’Alliance est libre de s’opposer à la politique menée par le gouvernement. Mais qu’elle ne vienne pas ensuite réclamer des subsides à ce même gouvernement. Car c’est bien de subsides qu’il s’agit.
— Il s’agit uniquement d’un homme désireux de rester en bonne santé jusqu’à ce qu’on vienne le chercher. Il n’est d’ailleurs même pas asiatique. »
Les yeux de Pigrato s’enflammèrent. « Ce n’est pas la question ! N’essayez pas de me taxer de racisme. Je suis conscient qu’un refus de votre part aurait plongé l’Alliance dans l’embarras. Mais cela l’amènerait peut-être à infléchir sa position.
— Chantage, donc.
— Politique. »
Le docteur Dejones secoua la tête. « Je ne marche pas. Ce genre de combine est incompatible avec la déontologie médicale.
— La déontologie ! cracha Pigrato, méprisant. Docteur Dejones, à compter de ce jour, vous ne fournirez plus aucun médicament aux Asiatiques et vous ne leur apporterez plus aucune aide d’aucune sorte. C’est un ordre officiel, donné en ma qualité d’administrateur mandaté par les autorités terrestres, ce qui, comme vous le savez, m’institue à la fois gouverneur et juge suprême. Si vous deviez contrevenir à cette injonction, je serais contraint d’engager des sanctions disciplinaires contre vous. » Il eut un sourire suffisant, presque haineux. « Voilà qui met un terme, je pense, au débat juridique. »